Musique et mathématique :
Pythagore, un grand mathématicien


Pythagore

On doit au grand mathématicien grec Pythagore (569-475 A-J), avec l'aide de trois de ses disciples, le calcul des intervalles musicaux, soit l'écart entre deux notes de la gamme musicale (bien que celui-ci n'a laissé aucun écrit; ce sera Aristoxène au Ive siècle avant Jésus-Christ qui nous les fera connaître). Il recherchait un sens esthétique dans la musique, mais un esthétisme avant tout mathématique. Les grecs considéraient que l'harmonie de l'univers était régie par la sagesse les nombres.

Intrigué par la façon que la Lyre grecque était accordée (ancien instrument à cordes), il a créé un monocorde, un instrument dont une corde unique est placée sur une caisse de résonance entre deux chevilles fixes, dans le but de calculer mathématiquement les intervalles musicaux.

S'il pinçait la corde sur toute sa longueur, il obtenait une note à une fréquence donnée, disons le do, la fréquence étant le nombre de vibrations de la corde par seconde. S'il délaçait un chevalet mobile au centre de la corde, comme avec la guitare par exemple, il obtenait une note un octave plus haut, soit la même note mais au double de sa fréquence. Si la note de base de la corde était le do à 256 Hz (Hz : unité de la fréquence des vibrations sonores), la nouvelle note à l'octave supérieure était alors de 512 Hz. S'il déplaçait le chevalet mobile au tiers de la corde, il obtenait une note une quinte plus haut soit le sol. En déplaçant méthodiquement le chevalet à différents endroits sur la corde et utilisant son ingéniosité mathématique, il a pu alors calculer tous les intervalles musicaux, dont le tableau 1 présente les principaux intervalles. Dans ce tableau, les rapports mathématiques de ces intervalles sont ceux calculés par Pythagore. Ils représentent les rapports entre deux notes (qui ne sont pas nécessairement représentatifs des longueurs créées par la position du doigt sur la corde). Lorsqu'on parlera de la gamme tempérée dans la prochaine chronique ces rapports changeront (en fait ils ont même changé plusieurs fois au cours des siècles).


 

Tableau 1 : Rapports mathématiques des principaux intervalles de la gamme selon Pythagore

Intervalle

Notes

Rapport mathématique

Tonique

Do

Corde entière

Seconde

Do-ré

9/8

Tierce

Do-mi

81/64

Quarte

Do-fa

4/3

Quinte

Do-sol

3/2

Sixte

Do-la

27/16

Septième

Do-si

243/128

Octave

Do-do

2/1

Demi-ton

Mi-fa

256/243

 

On doit aussi à Pythagore le calcul de ce qu'on appelle en musique l'ordre des quintes grâce à laquelle Pythagore a découvert que l'octave pouvait être divisée en douze notes distinctes qu'on appelle la gamme chromatique. Il a abouti à ce résultat grâce et suite au calcul de l'ordre des quintes qui se fait comme suit : Si on calcule la quinte de do, on obtient le sol, comme on le voit dans le tableau 2. Si on calcule la quinte du sol, on obtient le ré (soit SOL-la-si-do-RÉ). Si on calcule la quinte de ré, on obtient le la (soit RÉ-mi-fa-sol-LA), et ainsi de suite, donnant la suite de notes du tableau 2. Il calcula ainsi la quinte successive de chaque quinte. Toutefois, comme vous le constaterez, il a fallu qu'il ajuste certaines notes en cours de route, c'est-à-dire ajouter des dièses, pour obtenir des quintes justes.

 

Tableau 2 : Ordre des quintes

Do ? sol ? ré ? la ? mi ? si ? fa# - do# - sol# - ré# = la# -
fa -> do

 

A la treizième note, on revient au do. Les douze notes ainsi calculées et placées dans un ordre conjoint donnent les douze notes de la gamme chromatique, présentées au tableau 3, dont le meilleur instrument pour l'entendre et les voir est bien sûr le piano, en jouant progressivement les notes blanches et noires. Basée sur cet ordre des quintes, l'échelle musicale de Pythagore a été ainsi élaborée à partir des chiffres 1, 2 et 3.

 

Tableau 3 : Gamme chromatique

Do ? do# - ré ? ré# - mi ? fa ? fa# - sol ? sol# - la ? la# -
si -> do

 

Et des travaux de Pythagore découlent notre gamme occidentale qu'on appelle heptatonique, une gamme à 7 notes, soit les notes blanches du piano (tableau 4).

Tableau 4 : Gamme occidentale

Do ? ré ? mi ? fa ? sol ? la ? si ? do


Quelques notes historiques

De toute évidence, les travaux de Pythagore ne se limitent pas qu'à ces quelques exemples très sommaires de calculs mathématiques. Toutefois, il est approprié d'ajouter quelques éclaircissements historiques par rapport à ceux-ci. Premièrement, la plupart des écrits en mathématiques et en musique citent presque uniquement les travaux de Pythagore. Des mathématiciens de plusieurs autres civilisations ont aussi fait des recherches similaires.

Par la suite, plusieurs mathématiciens arabes, indiens, chinois et même japonais se seraient penchés sur ces calculs, n'aboutissant pas toujours aux mêmes résultats, suggérant ainsi que les calculs de Pythagore ne seraient pas mathématiquement universels. Par exemple, les indiens ont calculé que l'octave pouvait être divisé en 22 intervalles inégaux à partir desquels ils ont élaborés leurs nombreux modes musicaux. Plusieurs arabes ont aussi fait des calculs mathématiques similaires aux travaux de Pythagore. Le philosophe le plus éminent est al-Fârâbi dont le principal disciple était Avicennes. Ils ont déterminés 25 intervalles inégaux à l'intérieur de l'octave, et connaissaient la division de 22 intervalles des indiens. Il semble qu'en grande partie les résultats de ces calculs étaient faits en fonction des sonorités qu'on considérait consonant ou dissonant chez ces peuples, en d'autres mots agréables et désagréables.

D'autre part, ce que la plupart des mathématiciens n'indiquent pas dans leurs écrits sur Pythagore est que le treizième do de l'ordre des quintes n'a pas la même fréquence que le do au départ de ces calculs. Ce treizième do est un comma plus haut que le do de départ, le comma étant le plus petit intervalle sonore que l'oreille peut percevoir, selon Pythagore. Un demi-ton se diviserait en 9 commas. Si on continue à calculer l'ordre des quintes à l'infini, on ne revient jamais à la fréquence du do de départ. Par conséquent, ces calculs, pourtant fort simples donnent des résultats considérés acoustiquement naturels, mais ne sont pas tout à fait en accord avec le côté plus mathématique.

Un grand nombre de mathématicien chinois se sont aussi intéressés au calcul des intervalles musicaux. Ils se sont presqu'exclusivement intéressés au calcul de l'ordre des quintes à partir duquel ils ont calculés leur gamme pentatonique, qui est une gamme à cinq note : do, ré, mi, sol, la (le fa et le si sont utilisés dans leur musique, mais seulement comme notes de passage). Chez les chinois aussi, les raisons pour lesquelles ils se sont limités à développer une musique basée sur la gamme pentatonique sont d'ordre philosophiques et culturels. Vers 1580, le mathématicien ZHU Zaiyu aurait abouti au calcul de la gamme tempérée, soit près de 200 ans avant les européens, mais ne s'y ont pas intéressés, la trouvant musicalement inintéressante. Pour ce qui est des japonais, leurs calculs mathématiques étaient basés sur ceux des chinois.

Par ailleurs, la division de la gamme en 7 notes ou 12 demi-tons n'est aucunement universelle. On retrouve en Indonésie et en Afrique des gammes à 5 notes à intervalles égaux. Et on retrouve en Thaïlande, au Cambodge, en Guinée et même en Mélanésie une gamme à 7 notes à intervalles égaux.

Dans la deuxième chronique nous aborderons le sujet de la gamme tempérée et de la série harmonique qui ont été calculés grâce aux mathématiques, et qui ont permis l'avènement de changements importants dans la musique occidentale au XVIIIe siècle.


Sources

Alain Daniélou. Music and the Power of Sound. Inner Traditions, Rochester Vermont, 1995. Ré-édition de Introduction to the Study of Musical Scales. India Society, Londres, 1943.

C.C. Evans. Pitches, Scales and Modes. 1999.
http://users.leedsalumni.org.uk/kristfurevns/ctm-psm.html.

Anas Ghrab. Présentation générale des systèmes musicaux. Saramusik.http://Saramusik.free.fr/apercu.php.

Anas Ghrab. Les intervalles dans le système musical d'al-Fârâbî. Saramusik.
http://saramusik.free.fr/forum/viewtopic.php?t-27&sid=9ec58d792002fb43d84fdc45d7f64d3.

Juan G. Roederer. Introduction to the Physics and Psychophysics of Music. Springer-Verlag, New York, 1975.

Akira Tamba. La théorie et l'esthétique musicale japonaise, du 8e à la fin du 19e siècle. Publications orientalistes de France, Paris, 1988.

Evans G. Valens. The Number of Things, Pythagoras, Geometry and Humming Strings. E.P. Dutton & Co., New York, 1964.

« Maths & Musique », Tangente, L'aventure mathématique, 2002-1, Hors série, n° 11. Numéro spécial dédié au rapport musique et mathématique.